ou bien j'habite une formule magique

Photos
« j'habite donc une vaste pensée
mais le plus souvent je préfère me confiner
dans la plus petite de mes idées
ou bien j'habite une formule magique
les seuls premiers mots
tout le reste étant oublié »


Il faut être naïf pour imaginer photographier ce texte d'Aimé Césaire ; Calendrier Lagunaire. Penser pouvoir habiter les images du poète avec des instantanés. Naïf et à ce point fasciné par le poème qu'il faille naître avec lui.

C'est avec humilité qu’aujourd'hui je m'aperçois que cette page d'écriture de Césaire, cette page fondamentale d'humanité et de vitalité a été photographiée pour vivre avec elle, pour mieux la ressentir. Et mes mains à l'époque habillées du seul appareil photographique n'avaient pas d'autre manière de tourner avec les mots, de les laisser murmurer, provisoirement les ramasser dans une géométrie affective, reprenant le motif de la scansion.

Le poète écrit à voix basse. Dans l'intimité du langage. La poésie est lue dans la proximité des corps, seul à seul.

Ces photographies n'ont pas épuisé le poème et en parlent à voix basse dans la densité du mot, l'économie de son moment. Quand elles parlent de poussière, elles imaginent le plus petit grain qui s'agite sous le pied le plus sec et quand elles parlent du fleuve Niger, elles fixent la majesté de son allant.

Ces photographies agissent en caisse de résonance, elles ouvrent sur l'horizon lagunaire et ses poches de lumières, lieux de mondes acharnés. Elles rendent hommage au grand poète Aimé Césaire. A ce texte dont il a demandé que les derniers vers soient à jamais gravés devant la mort. Tombeau à son écriture tourbillonnante, à sa parole vive, à ses discours vibrants.

Ces photographies ont été prises à Gao, au Mali, en 2006. Un mois de Mai à habiter sur deux pages et une ville qui ouvre sur le désert. Elles auraient pu être prises dans beaucoup d'autres villes du monde et même entre toutes les villes du monde. La vie immédiate de la photographie est un intermédiaire, un passeur de souffle ;

« je ne sais plus mon adresse exacte
bathyale ou abyssale »


Je continue de photographier ce poème tous les jours, dans chaque mouvement où se lit l'attachement à vivre. Aujourd'hui l'exposition est plus longue, et la révélation travaille en profondeur à un nouveau langage. A chaque fois je souris en reconnaissant le présage de l'oiseau égaré, mais toujours pleinement occupé à son passage. Alors un nouveau mot s'inscrit sur la page du calendrier.